Sahara : Comment Jean Daniel a raconté « l’hystérie » qui s’est emparée de Boumediene à l’annonce de la Marche verte

Le journaliste et écrivain français Jean Daniel est mort mercredi à l’âge de 99 ans, après une longue vie de passion professionnelle, notamment au Nouvel Observateur dont il était le fondateur, où il a été un témoin actif de son temps, et parmi ces témoignages celui de la réaction à chaud du président algérien, Houari Boumediene, au moment de l’annonce de la Marche verte.
Le Roi Hassan II avait prononcé le discours historique du 16 octobre, quelques heures après la décision de la Cour internationale de Justice reconnaissant que le Sahara n’était pas terra nullius avant l’occupation espagnole, et que le territoire était lié au Maroc par des liens juridiques d’allégeance.
Jean Daniel, de passage à Alger, a été reçu le jour même par Boumediene. Il raconte avec un détail saisissant cet épisode de l’interférence algérienne dans l’affaire du Sahara, dont les conséquences se poursuivent toujours :
«Sans préavis, j’ai obtenu soudain ce jour-là une interview du Président Boumediene. De longue date, j’entretenais avec lui les meilleures relations. Avec moi, il ne faisait pas mine de ne parler qu’arabe. Il s’exprimait, sans embarras, dans un français très correct ».
Jean Daniel poursuit : « D’emblée, nous avons parlé de la Marche Verte annoncée quelques heures plus tôt. Il ne cachait pas sa colère sans l’extérioriser brutalement. Il restait très maître de lui jusqu’à ce qu’à l’écran apparaissent les images du roi Hassan II prononçant un discours ».
« Là, le visage de Boumediene s’est métamorphosé. Un mélange de sourire nerveux et de fureur crispait son visage (…) Il s’est levé de son fauteuil et s’est mis à sautiller de façon étrange. Un peu hystérique. Je ne saurais dire s’il sautait de joie ou de colère, mais, je le revois très bien, il a bondi à plusieurs reprises. Il trépignait, comme s’il avait perdu le contrôle de son personnage.
« Les insultes contre Hassan II pleuvaient. J’étais stupéfait. Jamais je n’avais vu un chef d’Etat dans cet état. Ce n’était qu’un torrent d’invectives à un niveau insoutenable de grossièreté, d’obscénité, de vulgarité.
Sans transition, ont suivi les menaces. Hassan II ne l’emportera pas au paradis. Il ne sait pas ce qui l’attend. L’Algérie ne se fera pas rouler dans la farine ».
Jean Daniel a dit être « d’autant plus abasourdi que l’affaire du Sahara traînait depuis longtemps. Les revendications du Maroc dataient de Mohamed V… »