Mouvement 20 février : quand le navire coule…

La décision d’Al Adl wal Ihsane de se retirer définitivement du Mouvement du 20février a été une surprise pour tout le monde. Tellement la Jamaâ de cheikh Yassine s’est positionnée comme l’un des principaux, sinon le principal animateur de ce mouvement de contestation qui est en train de mourir de sa belle mort.

Tout au long des dix derniers mois, ce sont les islamistes de la Jamaâ qui fournissaient les plus gros effectifs des marches dominicales du 20 février, aux côtés de gauchistes moins nombreux. Plusieurs raisons ont été avancées pour expliquer ce désengagement au pied levé des adlistes. La plus récurrente est celle qui veut que le retrait soit le résultat logique de l’échec de la Jamaâ à s’approprier le mouvement de contestation. L’aboutissement de plusieurs mois de divergences accumulées entre les diverses composantes du Mouvement sur la ligne à tenir. De guerre lasse, les inconditionnels du cheikh Yassine décident ainsi d’abandonner des protestations de rue qu’ils n’ont pas réussi à canaliser dans le sens qu’ils souhaitaient. Certains considèrent que par son geste inattendu, la Jamaâ offre un cadeau empoisonné au nouveau chef du gouvernement, l’islamiste modéré Abdelilah Benkirane. En le privant de la pression de la rue, les amis de cheikh Yassine placeraient Benkirane en situation de faiblesse face à l’aile la plus hostile aux réformes engagées dans le pays. A l’opposé, si la Jamaâ avait continué de descendre dans la rue, elle aurait servi l’agenda de Benkirane. Celui-ci aurait alors utilisé le poids de la contestation pour obtenir davantage de pouvoirs. Cette lecture confirme la rivalité existant entre les deux pôles islamistes. D’autres observateurs voient dans la décision de la Jamaâ une tentative d’éviter la confrontation avec le PJD qui dirige la majorité gouvernementale et avec lequel les islamistes d’Al Adl wal Ihsane partagent le même référentiel religieux. Mieux, les adeptes du cheikh Yassine espèrent offrir une trêve au gouvernement PJD, dont le leader Abdelilah Benkirane a fait des appels du pied à la Jamaâ pour intégrer le processus politique. Une perspective que les amis du cheikh n’excluent peut-être pas définitivement.

Quelles que soient les lectures qui peuvent en être faites, la décision du retrait a tout l’air d’être une anticipation calculée. Elle découle manifestement de la prise de conscience par cheikh Yassine et ses fidèles de l’inexorable affaiblissement du Mouvement du 20 février. Devant un mouvement qui avait le plus grand mal à mobiliser en masse, la Jamaâ ne voulait simplement pas donner d’elle l’image d’un groupe isolé du tempo de la rue.