Pour affirmer son exception, le Maroc possède la clef: une démocratie moins futile et moins égoïste

Au premier abord une constatation émerge : la démocratie marocaine fait son chemin. Le processus ne se déroule fort heureusement plus dans un paysage intellectuellement désert. La parole n’est plus monopolisée par le pouvoir. La pensée n’est plus figée dans le dogme officiel. La liberté d’expression et le pluralisme de l’information sont ressentis comme des acquis qui vont de pair avec le multipartisme politique. Cette évolution n’est pas fortuite ni le fruit d’un hasard.

Il aura fallu pour réussir ce pari, que se dégage une certaine pensée pour regarder en face.

 Il aura fallu la prévoyance et l’intuition du pouvoir, depuis une décennie déjà, qui a su à temps déceler dans les plis du tissu social, les bourgeons d’une évolution politique et civique éprouvant le besoin de l’amorce d’une avancée démocratique comme une irrépressible urgence.Il aura fallu que prenne corps, au détriment d’une inertie, un mouvement ou l’Homme devient une valeur absolue et un facteur incontournable pour le développement.Il aura fallu un Etat national crédible par la cohésion rassurante que maintient la figure tutélaire d’un référentiel qui fait l’unanimité et dont la conviction démocratique est irréversible.Il aura fallu un peuple unis et profondément imprégné d’un Islam à visage humain soucieux des besoins de l’âme comme de ceux de la cité moderne. Un Islam qui met le croyant à l’abri des glissements de sens entre le message révélé et la traduction concrète, entre les intentions et les effets, entre les élans d’une foi et ses retombées politiques.Il aura fallu un renouvellement de la diversité culturelle qui porte les citoyens à vivre en respectant la différence, et en acceptant les divergences.Il aura fallu réglementer le champ politique, redynamiser son action, et juguler la compétition afin d’éviter qu’une certaine oligarchie puisse monopoliser le discours politique au nom d’une prétendue légitimité.Il aura fallu par une subtile pédagogie discréditer la démagogie et inculquer aux citoyens l’idée que la démocratie ne promet aucun miracle. Et, qu’elle risque même d’accroitre les tensions jusque là étouffées, en libérant l’expression de besoins plus vastes que les ressources disponibles et les espoirs plus contrastés pour être à court terme harmonisables. Que la démocratie est un défi qu’il faut relever où chacun a plus de chance de gagner ou de perdre mais avec des règles de jeux qui s’appliqueront à tous.Il aura fallu désamorcer calmement, et d’une manière non violente, l’expression de certains indignés déchaînés, parfois même au détriment de l’intégrité physique de certains éléments des forces de l’ordre.Il aura fallu la promulgation d’une nouvelle constitution adoptée par une majorité écrasante des citoyens. Une constitution qui, de facto, sacralise l’option démocratique puisque toutes les dispositions relatives aux droits de l’Homme, à la parité homme / femme, et au fonctionnement démocratique des institutions ne peuvent plus faire l’objet de révision constitutionnelle.Tels sont les atouts qui ont calibré, modelé, et rendu possible l’option démocratique marocaine et qui sont son ultime chance pour la réussir. Parce que la démocratie ne doit pas être conçue comme suspendu dans le vide. Mais sa concrétisation sur le terrain dépend de la volonté, de la capacité, et de la conscience des acteurs politiques. Car il ne s’agit pas de rêver d’une mystique révolution qui ferait un jour de l’Etat le seul instrument capable de trouver des solutions miracles aux divers problèmes de la société, mais de concevoir pragmatiquement les voies et les moyens pour les résoudre, de rassembler les énergies, de faire sauter les verrous de blocage, de freiner les pratiques politiques polluées, de sensibiliser les citoyens sur l’importance de l’enjeu, que le chemin est long, que l’épreuve n’est pas facile, que les déséquilibres économiques nationaux et internationaux ne peuvent déboucher dans un avenir proche sur l’abondance matérielle.Il s’agit d’éviter au pays une aventure aléatoire dont la fin se dérobe sous les pieds de chacun. L’heure est à la responsabilité et à la mobilisation des esprits dans une autre direction. Lier la démocratie à une autre exigence, celle de la solidarité. Une occasion d’inventer un modèle démocratique moins futile et moins égoïste et qui affirmera encore l’exception marocaine.